Assemblée Nationale: Les mille et un visages de la corruption

Yaoundé - 17 Septembre 2010
© Jean Francis Belibi / Serge D. Bonts | Mutations
     2 Réactions
Depuis quelques années, des cas de collusion au moins blâmables entre les élus du peuple et l'exécutif ont émaillé l'actualité de l'auguste chambre.
 E-Mail      Imprimer      Réagir     Bookmark and Share
Palais des Congrès de Yaoundé, mercredi, 15 septembre 2010. Il est un peu plus de neuf heures. Dans le hall et les couloirs du deuxième étage de cet immeuble, quelques députés dévisent tranquillement. Ils sont venus prendre part aux travaux de l'atelier sur «le renforcement du pilier d'intégrité législatif», organisé par la Commission nationale anti-corruption (Conac). En clair, l'atelier vise à faire un diagnostique «exhaustif» de la corruption au sein de l'auguste chambre, et d'impliquer cette dernière dans la lutte «sans merci» engagée contre ce fléau. Cet atelier rentre dans le cadre de l'élaboration de la stratégie nationale de lutte contre la corruption entamée depuis quelques mois par la Conac. Quarante parlementaires ont été invités. De même qu'une dizaine de membres de l'administration de cette institution. Seulement, et c'est un euphémisme, tous les députés ne sont pas présents. Pourtant, ainsi que le reconnaissait, le Vice-président de l'Assemblée nationale, Calvin Foinding, «La corruption existe bien à l'Assemblée nationale». «Même si, précisait-il alors, je ne peux pas vous en donner les manifestations ni entrer dans les détails».

Pas de chance pour lui. Car depuis quelques années, l'actualité autour de l'auguste chambre et des «députés de la Nation» s'est chargée elle-même de livrer ces détails. Petit florilège. Yaoundé par une nuit de novembre décembre 1995. La session parlementaire tire vers sa fin. Au programme de cette échéance qui pourrait pourtant passer pour une session presque ordinaire, l'examen d'un projet de loi portant modification de la constitution de 1972. Avec en bonne place, un ensemble de modifications liées à la fonction présidentielle. On note dans l'hémicycle, où le Rdpc, le parti au pouvoir n'a qu'une majorité relative, une vive opposition au projet gouvernemental. La fronde est si forte qu'il faudra l'arrivée sur les lieux, un peu après minuit, de Titus Edzoa. L'homme qui est alors secrétaire général de la présidence de la République n'y arrive pas les mains vides. Installé dans le cabinet du secrétaire général de l'institution, l'«émissaire» d'Etoudi recevra les principaux leaders de la fronde. Ceux-ci ne repartiront pas les mains vides. Mieux encore, ils en repartent les poches pleines. Puis suivront les autres membres de la Chambre. Ainsi, le projet de modification de la Loi fondamentale sera finalement adopté.

Mounchipougate

Septembre 1999. M. Mounchipou Seidou, ministre des Postes et télécommunications est brutalement débarqué de ses fonctions à la suite d'un réaménagement gouvernemental qui ne concerne que son seul ministère. L'homme sera interpellé quelques temps après, puis écroué à la prison centrale de Kondengui où il continue de purger sa peine d'emprisonnement. Son crime: un ensemble de marchés publics passés hors normes. Mais l'homme est surtout «victime» de «l'acharnement» d'un certain nombre de députés de l'Assemblée nationale, furieux de n'avoir pas pu eux aussi, obtenir lesdits marchés.

Mars 2008. L'Assemblée nationale fait encore face à une nouvelle demande gouvernementale de modification de la constitution.

L'enjeu cette fois est la levée de la limitation du nombre de mandats présidentiels. Si l'adoption du texte ne semble faire l'objet d'aucun doute, le bureau de la Chambre, avec l'aval de la présidence de la République adopte un ensemble de mesures en faveur des élus de la Nation. Il s'agit essentiellement d'avantages financiers. Le crédit automobile jusque là remboursable par retenu à la source, devient une dotation. A l'ouverture de chaque session les membres de la Chambre auront désormais droit à une indemnité de 1 million de francs. Les membres du bureau de l'Assemblée nationale sont les plus «choyés» de la bande. Leur dotation pour achat de véhicules est substantiellement augmentée: entre 60 millions de francs pour le président de l'Assemblée nationale et 30 millions pour les secrétaires. Des sommes qui sont non remboursables et exemptées de tout impôt.

Lors de la session parlementaire du mois de novembre dernier consacrée à l'examen et au vote du budget de l'Etat pour le compte de l'année 2010, l'actuel ministre de l'Energie et de l'eau n'avait pu défendre l'enveloppe allouée à son département ministériel que grâce à une double intervention du président de l'Assemblée nationale. Raison évoquée par l'un des membres de la Commission des Finances et de budget que nous avions approché à l'époque, Michael Ngako Tomdio n'avait pas «respecté les usages en la matière …». Le ministre, arrivé au gouvernement moins de cinq mois plus tôt avait tout simplement cru à la bonne qualité des documents préparés par ses collaborateurs pour passer en douce. Il fallait plus que cela !!! Mieux, il fallait «bien parler» aux députés.

On peut donc se rendre compte que la corruption fait bien partie des habitudes de notre institution parlementaire. Elle semble même avoir été institutionnalisée, tant elle est apparaît beaucoup plus comme l'apanage des pouvoirs qui, comme le relevait un observateur il y a deux jours à l'occasion de la Journée internationale de la démocratie, est à l'origine de 99,99% de l'initiative des lois dans notre pays.

Le refus d' «entrer dans les détail» opposé aux journalistes par Calvin Foinding mercredi dernier a donc fait sourire quelques uns. Quelques minutes plus tôt, le Vice-président de la Conac, Dieudonné Massi Gams invitait les «portes paroles» du peuple à ne pas faire de cet atelier, une «simple formalité». A-t-il été écouté? Les députés, du moins ceux qui ont fait le déplacement du Palais des Congrès, ont-ils consentis à dévoiler leurs «petites habitudes»?


Hermine P. Tomaino Ndam Njoya : La corruption à l'Assemblée nationale ne concerne pas seulement les députés
Le député Udc et membre du bureau de l'Assemblée nationale lève un pan de voile sur les pratiques en cours dans l'administration de cette institution.

Vous qui êtes député, comment se manifeste la corruption à l'Assemblée nationale?

Il faut d'abord relever que l'Assemblée nationale c'est deux entités. L'administration qui est donc coordonnée par le secrétaire général, et les députés. La corruption se manifeste à ces deux niveaux et de façon plus ou moins différente. Au niveau de l'administration de l'Assemblée nationale, ce sont les mêmes observations que l'on fait dans les autres administrations publiques. Le personnel a besoin de matériel de bureau et autres. Les procédures de passation de marchés pour l'acquisition de ce matériel ne sont pas toujours exemptes de tout reproche. Les arrangements entre fournisseurs et prestataires de services sont monnaies courantes. Même pour les avancements en grades, les nominations du personnel…des pratiques de toutes sortes sont régulièrement observées.

Mais il y a aussi des cas qui impliquent des députés…

C'est vrai. Surtout lors de l'examen des lois à voter. Généralement, il y a des groupes de pression qui sont derrière. Au regard de la configuration politique de l'Assemblée nationale avec notamment l'écrasante majorité du parti au pouvoir (Le Rassemblement démocratique du peuple camerounais, ndlr), on peut penser que de telles pratiques n'existent pas à cause de la discipline de parti. Mais c'est faux. Il y a des membres du gouvernement qui initient des projets de loi pour lesquels, ils ont des intérêts personnels. Alors lorsque le projet de loi arrive à l'Assemblée nationale, ils prennent le soin s'assurer le vote des parlementaires. Et on peut s'interroger sur les moyens utilisés à cette fin. Au niveau du contrôle de l'action gouvernementale, selon les dispositions réglementaires, on devrait pouvoir déposer une équipe gouvernementale. Mais peut-on simplement mettre sur pied une commission d'enquête parlementaire pour résoudre un problème? Dans la mesure où les députés sont fragiles, il n'y a pas lieu de l'espérer.

Des cas sont aussi relevés dans les procédures d'investiture des candidats aux législatives…

Les députés viennent effectivement de la base. Et ils doivent bénéficier de l'investiture de leurs partis politiques. A ce niveau, l'on note toutes sortes de pratiques entre ceux-ci et les dirigeants de leurs partis politiques, où les candidats doivent souvent monnayer leurs investitures. Mais le phénomène s'étend aussi à la base et notamment pendant les élections. Comment s'est-il fait élire? La pratique en vigueur c'est celle des coupures de billets de banque ou des sacs de riz et autres. Les populations les votent, non pas forcément pour la qualité de leurs propositions et programmes, mais surtout pour le nombre de billets de banque dépensés. Cela aussi, c'est une forme de corruption.

https://files.edsondepary.webnode.com/200002167-79e117adb1/animated_favicon1.gif