Chronique: "Camerounaisement votre !"


Cyrille Ekwalla
Photo: © Cyrille Ekwalla

Enfin, c’est terminé ! Il s’agira à n’en point douter d’un mémorable souvenir pour les nombreux fanas de football et de l’équipe nationale du Cameroun à travers le monde, que cette édition 2010 de la Coupe du monde en Afrique du sud. De « Lions Indomptables », le Cameroun a plutôt montré le visage et le comportement de « Matous dégriffés » pendant 270 mn de jeu. Cette expédition en Afrique australe s’est en définitive révélée être un fiasco matériel et humain et une humiliation sportive comme on commence à en avoir l’habitude au Cameroun. Une élimination au premier tour – prévisible, voire certaine pour les plus lucides des spécialistes- et qui sonne aujourd’hui comme une véritable infamie. Les mêmes causes produisant malheureusement les mêmes effets. Et malgré cela, les premières réactions ne sont pas de bon augure. Au contraire. Tout se passe sans qu’on ne perçoive la moindre volonté de mettre fin à cette spirale de l’échec, de l’immobilisme et du perpétuel recommencement. Ce constat est d’autant plus difficile à faire quand on observe que les fossoyeurs sont ceux-là même auxquels le peuple voue une admiration au-delà du raisonnable. Il en est ainsi de Roger Milla.

Alors que le bateau « Lions Indomptables » prenait de l’eau de toutes parts, l’intouchable Excellence Albert Roger Milla, sis ambassadeur itinérant du Cameroun, en rajoutait. « Le meilleur joueur africain du siècle » s’est largement répandu dans les médias, en amont et pendant le séjour de ses compatriotes au pays de Nelson « Madiba » Mandela vociférant à qui voulait l’entendre avoir trouvé la cause de la déconfiture sportive du Cameroun. Le bouc-émissaire du « Titanic sportif » des Lions en Afrique du sud était tout trouvé : Paul Le Guen, le sélectionneur. Et Milla d’asséner sa vérité : « faites confiance aux nationaux, à un sélectionneur camerounais et comme par miracle, tout ira bien. ».

Rappelons – à toute fin utile – que cette posture de tout attendre du miracle semble être devenue la norme, la règle pour tous. À commencer par Paul Biya, le chef de l’Etat, qui y faisait déjà allusion il y a deux ans lorsqu’il demandait et incitait ses compatriotes par cette phrase devenue célèbre « aidez-vous et le ciel vous aidera ! ». On comprend mieux pourquoi rien de significatif n’est entrepris pour élever le niveau de vie des camerounais, lutter contre la pauvreté, désenclaver les zones rurales mettre en œuvre des politiques efficaces en matière de santé, d’éducation et de formation, d’emploi, de renforcer les libertés publiques et la démocratisation de la société, d’établir la justice sociale, de restaurer la probité, de revaloriser l’image du Cameroun… et évidemment de bâtir une équipe solide des Lions Indomptables. Le miracle seul ne peut résoudre tout ceci.

Et là, nous sommes obligés de constater et de dire à l’icône du football camerounais, africain, mondial qu’est – sans conteste – Roger Milla, qu’il a tort. Entièrement tort. Ce n’est pas en confiant l’équipe du Cameroun à un (ou à des) camerounais que cela résoudra quoique ce soit. Il faut aller à la source du mal. C’est la politique sportive du Cameroun qu’il faut confier à des nationaux… compétents et patriotes, visionnaires. Si seulement tous les observateurs, spécialistes et autres « commentateurs-sélectionneurs des gradins » qui ont des poussées d’urticaire et que nous entendons exprimer leur colère, leur désarroi depuis le 19 juin dernier (date effective de notre élimination de la Coupe du monde) mettaient la même vigueur, le même entrain à réclamer la mise en place d’une politique volontariste et crédible sportive au Cameroun, ils n’en seraient pas encore là à décrier et pleurnicher que la prestation d’Eto’o et de ses coéquipiers soient la plus grosse déception sportive de ce tournoi ; ou que le Cameroun qui était la nation africaine la plus attendue après l’Afrique du sud (pays organisateur), ait été la première équipe officiellement éliminée au premier tour de la première coupe du monde organisée en terre africaine.

Roger Milla a tort. Il a tort de ne voir et de ne vouloir défendre que « l’arbre qui cache la forêt » à savoir l’équipe senior de football du Cameroun. Il a tort de ne pas dénoncer avec la même fermeté les « écarts » des institutions en charge du football au Cameroun tout comme les « détournemens d’objectifs et autres » de certains acteurs de ce milieu et proches des Lions. Il a tort de ne pas s’indigner qu’en lieu et place d’éducateurs camerounais en quête d’apprentissage et d’expérience, la délégation camerounaise soit composée de « marabouts et préparateurs psychologiques »… Roger Milla ne devrait-il pas mettre toute son énergie, toute son aura et toute son influence (s’il en a encore) pour la prise en compte d’une vision, la mise en place d’un projet sportif pour la jeunesse camerounaise entière ? Un projet duquel pourraient sortir au bout de quelques années des futurs joueurs comme Milla ou Eto’o, des futurs entraîneurs comme Nyonga ou Omam Biyik, des futurs arbitres internationaux comme Mekouandé Evariste, des futurs cadres, des futurs éducateurs, etc… ? Se battre pour des infrastructures sportives dignes du Cameroun et du suivi des décisions ; participer à la reconversion et au soutien des autres « Lions » issus d’autres disciplines sportives comme la boxe ou l’athlétisme. Si cela avait été fait « Jo Bessala » ne serait pas mort dans le dénuement total et enterré dans la confidentialité un 19 juin 2010 (Tiens ! Encore cette date) ; si cela avait été fait, il n’aurait pas été difficile à Milla de convaincre son ex-protégée Françoise Mbango de ne pas opter pour la nationalité française après avoir offert au Cameroun deux médailles en or au cours des deux dernières olympiades.

C’est cela qu’on attend d’un ambassadeur itinérant comme Roger Milla.
L’ironie veut que soit diffusé en ce moment au Canada, lors des retransmissions des matchs de la Coupe du monde, un spot qui vante la place du sport au Cameroun. On voit apparaître trois (3) images : un saut de Françoise Mbango, une explosion de joie après un but avec Eto’o et … Paul Biya coupant le ruban d’inauguration du palais des sports deYaoundé : une camerounaise devenue française depuis peu, un capitaine des Lions aujourd’hui dépité et décrié et …le président de la république du Cameroun, Paul Biya. Tout un symbole. Et quelle image vers le monde ? Et pourtant, tout ce qui est dit ci-haut est su et connu de tous, notamment de celles et ceux qui décident. Même de celles et ceux qui aspirent à diriger et décider. Alors que le déshonneur sud-africain devrait nous servir d’électrochoc, de remise en cause, d’acceptation d’humilité et de sacrifice, on nous parle déjà du mois de septembre 2010 et du prochain match des Lions.

Ainsi va le Cameroun du fooball, comme le pays tout entier : on ne prévient pas, on n’anticipe pas. C’est de la gestion à la petite semaine, sans planification aucune. Et on feint de s’étonner des résultats obtenus. Comme pour dire « Camerounaisement vôtre !».

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