Forces armées camerounaises: Un colonel peut-il réussir un coup d'État ?

C'est la grande question qui taraude les esprits depuis le déclenchement de l'affaire du coup d'Etat montée de toutes pièces par un groupe de colonels, soit pour faire un chantage au régime, soit pour envoyer un ballon d'essai. Décryptage..

"Ces colonels qui voulaient renverser Paul Biya". Voila le titre qui barre la grande "Une" de l'édition N°83 de La Nouvelle parue le lundi 6 septembre 2010. Le journal de Biyem-Assi à Yaoundé revenait ainsi sur cette affaire de coup d'Etat qui a défrayé la chronique au mois de juillet dernier, pendant que le chef de l'Etat était en Hexagone. Cette parution de votre journal n'a laissé personne indifférent, surtout au sein de nos forces de défense où tout le monde y est allé de son petit commentaire. Depuis lors, les langues n'ont cessé de se délier au sein de la grande muette, même si tous parlent sous le couvert de l'anonymat.

D'entrée de jeu, certains observateurs se sont appesantis à décrypter les grandes décisions des putschistes. C'est ainsi que ceux-ci, suffisamment avertis, notent que si certaines de ces décisions peuvent susciter une certaine adhésion par leur pertinence, force est de constater que d'autres affichent une sécheresse idéologique certaine. C'est par exemple le cas de cette décision des putschistes qui annonce la dissolution du Rdpc. Et pourquoi pas les autres partis politiques, lorsqu'on sait que le Cameroun en compte à ce jour plus de 200 ? s'indignent-ils. De plus, pensent les mêmes commentateurs, la dissolution de la Constitution annonce inéluctablement le retour à la dictature, ce qui est incompatible avec l'option de démocratie actuellement en vigueur dans la plupart des pays modernes. Dans le même temps, les putschistes de juillet 2010 entendent réduire le mandat présidentiel à 5 ans renouvelable une fois. Pour ces commentateurs, en 5 ou 10 ans si un second mandat est accordé au président de la République, il est pratiquement difficile, voire impossible à un dirigeant d'atteindre les objectifs qu'il s'est fixé d'implémenter pour son pays. Bref, indiquent-ils plutôt sentencieux, ces prétendus putschistes ne poursuivraient qu'un seul objectif: mettre la pression sur le régime afin d'obtenir sinon le départ à la retraite de certains généraux actuels, la promotion de certains colonels au seuil de la retraite.

Devrait-on donc pour cela les considérer plus comme des maitres-chanteurs que des putschistes ? Ou encore, parce qu'ils n'avaient apparemment pas pour première intention de renverser le régime en place, l'on ne devrait pas les prendre au sérieux ? Justement, on devrait les considérer comme des putschistes, tant et si bien qu'un putsch n'est autre qu'un soulèvement, un coup de force d'un groupe politique armé en vue de prendre le pouvoir par une voie antidémocratique. Pour nos commentateurs, le seul fait d'avoir mis à contribution Enoh Meyomesse et d'avoir produit un CD - Audio contenant leur discours de politique générale, suffit à conclure qu'il y a eu un début d'exécution du putsch. Et par conséquent, il est impérieux que les hauts responsables de notre armée prennent cette affaire au sérieux et mènent des enquêtes approfondies pour interpeller les auteurs de ce coup de force.


Affairisme sauvage

Seulement à côté de ces commentateurs, un autre groupe de stratèges proches de nos forces de défense, bien au fait du fonctionnement de l'armée camerounaise, jure la main sur le cœur, qu'un colonel ne peut guère réussir un coup d'Etat au Cameroun, surtout en ce moment. Pour être plus convaincants, ce groupe de stratèges estime que ces colonels, fortunés et suffisamment embourgeoisés, sont de plus en plus coupés des hommes de rang. Pour eux, combien sont-ils ceux des colonels qui peuvent aujourd'hui partager la popote avec leurs subalternes comme le faisait à l'époque un certain colonel Benoît Asso'o Emane ? Plus grave, ces mêmes stratèges pensent que les colonels de l'armée camerounaise se comportent davantage aujourd'hui, fortunés qu'ils sont, comme s'ils n'étaient pas des militaires. Ou comme s'ils appartenaient à un autre corps de l’armée camerounaise. Un grand fossé séparerait donc ces colonels et le reste des hommes de troupe. De plus, notent dans la foulée d'autres experts, le fonctionnement de l'armée voudrait que, en cas d'urgence, ce soit un général qui donne des ordres pour mettre en mouvement les troupes. Ce qui veut dire en d'autres termes qu'un colonel ne peut coordonner qu'un mouvement des troupes décidé par sa hiérarchie militaire. D'ailleurs, pour ce qui est des unites et des bataillons d'élite, seul l'ordre du chef de l'Etat, chef suprême des armées, est requis en exclusivité. Ce qui manifestement complique davantage la tâche de quelque colonel aventurier.

Allant dans le même sens, un autre 3ème groupe de stratèges pense plutôt que, nombreux sont les colonels qui ont longtemps tourné le dos à la profession pour se jeter corps et âme dans un affairisme sauvage et illicite. Leur devise semble être aujourd'hui se servir et s'enrichir le plus tôt possible. D'ailleurs, estime-t-on, ce sont encore eux qui sont au cœur des différents réseaux de "Mboma "et d' "Eto'o Fils" qui sévissent depuis quelques années au sein des forces de défense et qui font perdre de fortes sommes d'argent au trésor public camerounais. Ce sont encore eux qui servent d'écran à de nombreux établissements qui écument les ministères à la recherche des marchés publics. Ce sont toujours eux qu'on retrouve dans l'exploitation forestière, minière et autres trafics divers qui leur procurent de colossales prébendes. Conclusion de ces stratèges: nos colonels se sont énormément embourgeoisés. Ils roulent carrosse, adorent les "bonnes choses" et sont loin de compromettre tous ces acquis en s'aventurant dans une épreuve de force où ils savent d'avance qu'ils sont battus d'office. Et çà, les petits gradés le savent. D'où cette indiscipline qui aurait pu gangréner nos forces de défense si les autorités gouvernementales ne veillaient pas au grain.

Enfin un autre groupe d'observateurs plus patriotes pense plutôt que les conditions de réalisation d'un putsch au Cameroun sont loin d'être remplies. Le pays se porte plus ou moins bien. Il présente même une image positive à l'extérieur, malgré les élucubrations de certains activistes. En plus, grâce à la l'option du président de la République de diversifier ses relations sur le plan international, il est difficile pour ces putschistes, fussent-ils des colonels de réussir un coup de force au Cameroun à l'heure actuelle.

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