Le levier gazier russe sur l'Europe, un souci américain

Pendant deux semaines, dans le froid glacial du mois de janvier, des milliers d'habitations et d'entreprises, dans plusieurs pays de l'Union européenne, sont restées sans chauffage en raison d'une dispute sur le gaz opposant la Russie et l'Ukraine. Un mois plus tard, dressant un tableau des menaces et défis dans le monde, le directeur du renseignement national américain, Dennis Blair, déclarait devant un comité du Sénat : "La Russie semble croire que la persistance d'une dépendance lourde des pays européens et des anciennes Républiques soviétiques envers le monopole russe Gazprom lui procure des leviers politiques et économiques."

En poussant ses troupes, en août 2008, loin à l'intérieur de la Géorgie, la Russie a accru son emprise sur le "couloir énergétique" reliant la région de la Caspienne à l'Europe. Les forces russes ont, depuis cette date, consolidé leurs positions dans la région d'Ossétie du Sud, à quelques dizaines de kilomètres du tracé du pipeline stratégique reliant l'Azerbaïdjan à la Turquie. Ce tube est depuis les années 1990 au coeur de la stratégie américaine consistant à ouvrir une route pour les hydrocarbures d'Asie centrale vers l'Europe tout en contournant à la fois la Russie et l'Iran.

La guerre de Géorgie et la crise du gaz de l'hiver, d'une ampleur sans précédent, ont remis la sécurité énergétique de l'Europe à l'ordre du jour. La présidence tchèque du Conseil européen l'a placée parmi ses priorités. Prague accueille, dimanche 5 avril, un sommet Union européenne-Etats-Unis, auquel participera Barack Obama.

La nouvelle administration américaine n'a pas encore dévoilé, ni même entièrement élaboré, sa stratégie vis-à-vis de la Russie. A l'exception d'une relance des négociations sur le désarmement nucléaire, et d'une demande de coopération face au nucléaire iranien.

Les routes énergétiques, la Géorgie, l'Ukraine figureront logiquement dans l'équation générale. Cela pourrait être évoqué lors du déplacement de Barack Obama en Turquie, pays important de transit. Les Etats-Unis défendent le projet européen de gazoduc Nabucco, qui passe par le territoire turc, mais la réalisation de cet ouvrage se heurte à de multiples problèmes, dont des exigences posées par Ankara.

Selon une analyse faite dans des milieux gouvernementaux en Europe, ainsi que dans des groupes de réflexion à Washington, la crise du gaz a démontré à quel point le régime Poutine-Medvedev était disposé à essuyer d'importantes pertes financières à court terme, dès lors que cela permettait de remporter des avantages politique à plus long terme dans un pays de l'"étranger proche".

LOURDES PERTES FINANCIÈRES

La rupture des approvisionnements de gaz a en effet entraîné pour Gazprom un manque à gagner d'environ 2 milliards de dollars, correspondant au volume de gaz non livré à l'Ukraine et aux pays européens. En ajoutant à cela les 700 millions de dollars de taxes non perçues par le bugdet russe, la perte a été considérable pour le Kremlin. Surtout dans le contexte de la crise financière qui frappe le pays depuis l'automne 2008.

Les accords russo-ukrainiens conclus à l'issue de cette crise ont constitué un important revers politique et financier pour le président ukrainien pro-occidental, Viktor Iouchtchenko. Moscou aurait parallèlement poursuivi une stratégie de mise sous tutelle du réseau ukrainien de gazoducs. D'où son indignation lorsque l'Union européenne a décidé de contribuer à la rénovation de ces infrastructures.

La Russie semble être passée à l'offensive en Ukraine après avoir constaté que son opération militaire en Géorgie n'avait pas provoqué de rupture avec l'Europe, et que les Etats-Unis étaient restés passifs. "Moscou essaie de maintenir un contrôle sur la fourniture et sur le transport de l'énergie vers l'Europe", analyse Dennis Blair.

Natalie Nougayrède

Article paru dans l'édition du 05.04.09.

 

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