M. Obama a ouvert une nouvelle page dans la politique étrangère américaine

Prague, envoyée spéciale

Ceux qui se demandaient pendant la campagne électorale quelle vision du monde animait le candidat Obama ont eu la réponse, dimanche 5 avril, à Prague. Dans une atmosphère printanière, le président des Etats-Unis a assuré qu'un monde sans armes nucléaires est possible et que la prolifération n'est pas une fatalité. Et il a repris le slogan devenu universellement célèbre : "Yes we can." Derrière lui, se découpait le château de Prague, dans un plan soigneusement étudié pour les caméras.

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L'image, légèrement brumeuse, resterait pour la postérité, tout comme les phrases : "Le fatalisme est un ennemi mortel : si nous pensons que la prolifération des armes nucléaires est inévitable, alors c'est que nous admettons en nous-mêmes que leur utilisation est inévitable. Nous devons ignorer les voix de ceux qui disent que le monde ne peut pas changer."

Barack Obama arrive à la dernière partie de son voyage en Europe, celle qu'il consacre à la Turquie. Il n'a pas craint de rappeler, dimanche 5 avril à Prague, en présence des Vingt-Sept, que ce pays devrait, selon lui, faire partie de l'Union européenne.

Le président américain peut d'ores et déjà se prévaloir d'avoir ouvert une nouvelle page dans la politique étrangère de son pays. Non seulement il a plaidé pour l'élimination des armes nucléaires, mais il en a fait l'"objectif à long terme" de sa politique.

Une révolution que le conservateur John Bolton et ses amis ont jugée "utopique" faisant mine d'oublier que Ronald Reagan avait lancé, lui aussi, un appel à l'élimination des armes nucléaires lors de son sommet de 1986 avec M. Gorbatchev à Reykjavik. M. Obama a lui même reconnu que le but ne sera pas atteint rapidement, "peut-être pas de mon vivant".

NÉGOCIATION GLOBALE

Si la non-prolifération est la "signature" de M. Obama, le sujet sur lequel il a travaillé dès son arrivée à la commission des affaires étrangères du Sénat, il n'avait jamais développé un projet aussi articulé. Le raisonnement qui sous-tend la doctrine Obama peut être résumé ainsi : pour amener l'Iran à renoncer à ses ambitions, les sanctions ne suffisent pas. Il faut passer par une négociation globale, et commencer par une réduction des arsenaux américains.

"Si nous voulons mobiliser la communauté internationale contre l'Iran ou la Corée du Nord, nous devons être irréprochables sur le plan de la morale", a expliqué Gary Samore, le conseiller à la non-prolifération de la Maison Blanche.

De Londres à Ankara, M.Obama a ouvert une nouvelle page aussi par son ton : post-guerre froide, multipolaire. Il a appelé à en finir avec les vieux conflits. Il a encouragé les Indiens et Pakistanais à se concentrer sur leur défi commun – la pauvreté – plutôt que sur leur différend territorial (au Cachemire). En Turquie, il était attendu sur la question du génocide arménien.

Les journalistes américains ont noté qu'il avait beaucoup parlé des erreurs commises par les Etats-Unis, ce qui lui permet de plaider plus efficacement que la page est tournée. Au G20, il a reconnu la responsabilité de la dérégulation à l'américaine dans l'effondrement de la finance mondiale.

Devant les étudiants de Strasbourg, il a parlé d'Abou Ghraib, l'ancienne prison américaine en Irak, un nom qui ne revient pas souvent dans le discours public américain, en essayant de les convaincre qu'ils peuvent désormais se joindre aux Etats-Unis sans avoir peur de "se regarder dans la glace".

Lors d'une conférence de presse à Londres, il a dit que les Etats-Unis polluaient à un rythme tel que si Indiens et Chinois usaient autant d'énergie, "nous aurions déjà tous fondu". A Prague, il a rappelé un fait qui lui non plus n'est pas souvent dit en ces termes : les Etats-Unis sont les seuls à avoir lancé une bombe A. Ce qui leur donne, selon lui, "l'autorité morale" pour proposer un désarmement complet.

ACCENTS PACIFISTES

Le pragmatique, le commandant en chef qui a envoyé ses premières troupes en Afghanistan a parfois manifesté des accents pacifistes. A la guerre froide et à la décennie de la toute-puissance américaine, il propose de faire succéder un monde de coopération où chacun trouverait son avantage. Et les Etats-Unis ne seraient pas obligatoirement en position dominante. Interrogé sur l'"exception américaine", cette théorie qui veut que les Etats-Unis, par la manière dont ils se sont créés, ont un destin particulier, M. Obama a eu une réponse révélatrice. Il croit, bien sûr, à l'exception américaine. Mais "je soupçonne que les Anglais croient à l'exception britannique ou les Grecs à l'exception grecque" (Il venait de rencontrer le président grec, dans une séance bilatérale pouvant difficilement contre-balancer plus de vingt-quatre heures en Turquie).

M. Obama n'en était qu'à son premier grand voyage. Il s'est montré d'une grande patience, même si on a compris à quelques éternuements qu'il était enrhumé, et à quelques réflexions qu'il n'était pas dupe. "L'Europe fait penser au Sénat américain. Il y a des marchandages…", a-t-il glissé après plusieurs heures de négociations sur le choix du secrétaire général au sommet de l'OTAN. Même si la presse américaine a déjà commencé à critiquer l'absence de résultats concrets après toutes ces concessions et mains tendues, il est trop tôt pour en juger.

En deux mois et demi, les chantiers ont été nombreux. Les débuts avec l'Iran, comme avec la Syrie, sont jugés encourageants. Un assouplissement de l'embargo avec Cuba est en chantier. Même Hugo Chavez a demandé un "nouveau départ" (reset, le mot en vogue) pour les relations entre le Venezuela et Washington.

Le tir nord-coréen de dimanche a fait quelque peu retomber la portée du discours de M. Obama, même s'il a assuré que le test ne faisait que souligner l'urgence d'agir contre la prolifération nucléaire.

Mise à l'épreuve du président ? Interrogé, le porte-parole de la Maison Blanche, Robert Gibbs, a érigé un mur de protection : "Cela n'a rien à voir avec le président Obama. Les Nord-Coréens ont ignoré les résolutions internationales depuis des années et au moins les deux dernières présidences." Modestie là aussi, autrement dit.

Corine Lesnes
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